Nos ancêtres les ivrognes

Publié le par chercheur d'histoires

Nos ancêtres les ivrognes

Cette exposition (annoncée hier sur ce blog) est en place.

Vous pouvez la visiter à la boulangerie du bourg de Nizon jusqu'à la fin juin 2013.

(fermée le lundi)

Vous y découvrirez : entre autres, une superbe lithographie d'Hippolyte LALAISSE : l'un des plus célèbres artistes  illustrateurs de la Bretagne de son temps. 

Cette lithographie est tirée d'un ouvrage publié en 1865 par la Maison d'édition lithographique Henri Charpentier de Nantes sous le titre :

" Scènes de la vie rurale en Bretagne "

Chacune des lithographies incluses dans le recueil comporte un texte écrit par Sigismond ROPARTZ

Je vous propose la lecture d'un extrait du texte correspondant à la lithographie de cet ouvrage exposée à NIZON sous le titre :

" Intérieur d'auberge près de Chateaulin " 

 LE CABARET :

Dans les temps bien plus rapprochés de nous, nobles et bourgeois se réunissaient dans des tavernes spéciales pour boire, entre le dîner de midi et le souper du soir, la bouteille de quatre heures; on nommait un roi des buveurs, qui était naturellement la plus forte tête de l’endroit.

 Aujourd’hui, tout cela est descendu, en Bretagne comme ailleurs, de la noblesse et de la bourgeoisie aux ouvriers et aux paysans.

Mais, au moins en ce qui concerne les paysans, il reste malheureusement vrai de dire que l’ivrognerie est un vice national; car elle n’engendre aucune infamie pour celui qui s’y livre suivant les us et coutumes La conscience même ne s’en  émeut qu’à moitié, et pour qu’on estime qu’il y a eu péché, il faut qu’on ait perdu l’équilibre. On réserve le blâme pour l’ivrogne d’habitude, qui se saoûle même solitairement et chez lui, et qui, négligeant toutes ses affaires, dissipe son avoir et celui de sa famille.

Ce type est rare dans les campagnes. Le cultivateur breton est d’une sobriété excessive dans la vie ordinaire. Il ne boit absolument que de l’eau.  Mais quand il va à la ville ou à la foire, il se dédommage de son long jeüne, et ceux qui reviennent sains à la ferme constituent :  hélas ! une trop grande minorité. Ainsi, l’ivrognerie est chez nous comme périodique et intermittente. C’est ce qui explique comment, malgré ce défaut avilissant, la Bretagne est restée une des plus nobles provinces de France. Les actes d’ivresse isolés, réparés j’ose le dire, par l’austérité habituelle et la sobriété continue constituent simplement des fautes et laissent prévaloir la vie morale, que l’habitude du vice seule peur anéantir.

Ce que nous avons écrit jusqu’ici a laissé voir dans les paysans bretons un peuple de mœurs rudes, mais simples; d’une nature franche et hospitalière; dur pour lui-même et plein de charité fraternelle; enclin aux rêveries poétiques et soumis aux dogmes stricts de la religion révélée; dévoué, à la fois, à la famille et à la patrie.

 

Toutes ces qualités si sympathiques sont amoindries par un vice que l’on peut aussi qualifier de  national, L’IVROGNERIE.

 

Tous les peuples septentrionaux ont demandé aux liqueurs fermentées quelque souvenir de ce soleil qui a éclairé de berceau commun de tous les hommes et que voilent nos brouillards.

 

Les vieilles poésies des bardes vantent la cervoise et l’hydromel qui coulaient à grands flots dans les festins héroïques. Quand nos pères occupèrent les Gaules et connurent le vin, ils s’y livrèrent avec délices. Saint Guénolé paraît le premier qui planta des vergers et suit en extraire le cidre; mais cette liqueur, dont les trois quarts de la province usent uniquement aujourd’hui, n’y était certainement pas commune au XVIe siècle.

 

L’extrémité de la péninsule a encore conservé les habitudes antérieures, et tire de la Saintonge le gros vin coloré qui  procure à des palais blasés par l’eau-de-vie, un chatouillement à peine perceptible.

 

La marque qu’un vice est général, presque universel et naturalisé en un pays, c’est qu’il est cessé d’y être noté d’infamie.Telle est l’ivrognerie en Bretagne : telle elle y était autrefois, même parmi les classes élevées.

 

Les licences de la guerre civile ne contribuèrent pas à faire disparaître ces mœurs honteuses et sanglantes; elles avaient au contraire pris un tel empire, que, quand Michel Le Nobletz entreprit de les réformer, il fut plusieurs fois menacé et l’on tira sur lui des coups d’arquebuse, en haine de ce que l’apôtre stigmatisait et flétrissait, comme un vice ignoble, les orgies dont on s’était fait une habitude et comme une seconde nature ...

Sigismond ROPARTZ


 

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Dans les temps bien plus rapprochés de nous, nobles et bourgeois se réunissaient dans des tavernes spéciales pour boire, entre le dîner de midi et le souper du soir, la bouteille de quatre heures; on nommait un roi des buveurs, qui était naturellement la plus forte tête de l’endroit.

Aujourd’hui, tout cela est descendu, en Bretagne comme ailleurs, de la noblesse et de la bourgeoisie aux ouvriers et aux paysans.

Mais, au moins en ce qui concerne les paysans, il reste malheureusement vrai de dire que l’ivrognerie est un vice national; car elle n’engendre aucune infamie pour celui qui s’y livre suivant les us et coutumes La conscience même ne s’en  émeut qu’à moitié, et pour qu’on estime qu’il y a eu péché, il faut qu’on ait perdu l’équilibre. On réserve le blâme pour l’ivrogne d’habitude, qui se saoûle même solitairement et chez lui, et qui, négligeant toutes ses affaires, dissipe son avoir et celui de sa famille.

Ce type est rare dans les campagnes.  Le cultivateur breton est d’une sobriété excessive dans la vie ordinaire. Il ne boit absolument que de l’eau.  Mais quand il va à la ville ou à la foire, il se  dédommage de son long jeüne, et ceux qui reviennent sains à la ferme constituent :  hélas ! une trop grande minorité. Ainsi, l’ivrognerie est chez nous comme périodique et intermittente. C’est ce qui explique comment, malgré ce défaut avilissant, la Bretagne est restée une des plus nobles provinces de France. Les actes d’ivresse isolés, réparés j’ose le dire, par l’austérité habituelle et la sobriété continue constituent simplement des fautes et laissent prévaloir la vie morale, que l’habitude du vice seule peur anéantir.


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