Le coup de cœur
Le coup de cœur du marché de l'art de la semaine passée en France a fait un heureux.
Son acquéreur.
Je parle d'un fabuleux tableau d'Emile BERNARD, vendu à Brest samedi dernier,
et représentant le portrait d'une petite bretonne incrusté dans un paysage
extraordinairement idéiste.
Un chef d'œuvre par excellence de ce que l'on appelle l'école de Pont-Aven :
Ce style pictural que de nombreux crétins attribuent à Gauguin lors de son séjour à
Pont-Aven en 1888.
Dans ce tableau exécuté à Pont-Aven en 1887, Emile BERNARD exprime déjà
avec force la petite sensation qui mûrit en lui depuis quelques années.
Décrire ce portrait, c'est dévoiler les grandes règles du mouvement pictural naissant
:
Le cloisonnisme : Du sujet, Bernard n'a exprimé que l'essentiel pour lui, c'est-à-dire l'idée que sa mémoire en a
retenue et qu'il transpose sur la toile en de larges aplats cernés de noir. La grande simplification de l'art qui va bouleverser le monde artistique du XXe siècle,est ne marche. (Elle tend à
supprimer tous les détails inutiles à l'idée exprimée)
Le paysage dans lequel le buste de la jeune bretonne vient s'incruster est
bouleversant.
Le dépouillement de ce sujet, réduit à sa plus simple expression, tend vers
l'absolu. Jamais jusque-là, un paysage pictural de Pont-Aven n'avait été représenté de façon aussi minimaliste * --- Et sans doute jamais plus après sauf par des plagiaires---
* Dès 1888, dans les œuvres peintes par ce dernier, mais encore plus par Gauguin, le détail "decoratif" revient au
galop.
Même les couleurs sont exprimées avec retenue, exception faite de la chevelure du
personnage qui se remarque par une tonalité volontairement plus soutenue. Ce détail
est l'accent qui doit attirer l'œil du spectateur pour forcer son
esprit à pénétrer
dans le tableau afin de s'imprégner de l'émotion qu'il exprime et ne point, comme le
nigaud, rester artificiellement à l'extérieur pour ne regarder que le sujet.
L'accent : c'est un truc de Maître.
En 1887, le post-impressionniste Gauguin est en Martinique avec Laval. Il y
découvre les couleurs vives des tropiques.
En 1888, de retour à Pont-Aven il est impressionné par la petite émotion que Bernard a
exprimée dans ses œuvres. Il découvre ce qui lui manquait et va l'usurper en y ajoutant les couleurs saturées qu'il a découvertes en Martinique. Bernard sera vite oublié pour
laisser place à son usurpateur dans l'histoire de l'Ecole de Pont-Aven.
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Le tableau de BERNARD est pourtant l'une des œuvres fondamentales de toute l'histoire
picturale de Pont-Aven. L'école de Pont-Aven n'est représentée tout au plus que par une centaine d'œuvres quasiment toutes conservées dans les plus grands musées du
monde. Le tableau vendu à Brest ce week-end représentait l'unique opportunité pour la cité des peintres d'acquérir et de posséder enfin, l'une de cette centaine d'œuvres. C'est raté.
Nous savons que le musée a acquis, il y a quelques années, une œuvre sur papier de Gauguin
- deux têtes de bretonnes - Il faillait bien sûr l'acquérir, mais il faut tout de
même reconnaître que ce fut uniquement pour la signature. Cette œuvre n'étant nullement représentative du style novateur de Pont-Aven, contrairement à celle de BERNARD qui
est vraisemblablement la toute première du style.
Je ne connais pas l'acquéreur de ce chef d'œuvre, mais l'heureux nouveau propriétaire a
fait l'affaire du siècle. A 250 000 €, c'est l'équivalent de l'achat par la municipalité de Pont-Aven, d'un vétuste garage dans le centre ville il y a moins d'un an.
Qui a dit cette sage vérité : On n'acquiert jamais trop cher un chef d'œuvre, car le chef
d'œuvre n'a pas de prix.
Lorsque ce prix est dérisoire et que la municipalité bicéphale d'une commune qui se veut
rayonner culturellement sur le monde, n'en a cure, nous pouvons craindre le pire pour l'avenir des lieux.
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